Femmes et Sciences dures

 Pourquoi dit-on "sciences dures" ? Et pour qui le sont-elles ?

"Quand une discipline est jugée ‘dure’, faut-il y voir une exigence intellectuelle… ou un rejet symbolique de la douceur, de l’émotion, de la féminité ?"


Des mots qui pèsent

Physique, maths, informatique… Ces disciplines sont regroupées sous une étiquette familière : les sciences dures.

Mais as-tu déjà réfléchi à ce que cela signifie, littéralement ?

“Dures”, comme si la difficulté était un mur infranchissable. “Dures”, comme si leur valeur venait de leur froideur, de leur objectivité supposée. “Dures”, comme si, par opposition, il existait des sciences molles, plus floues, moins légitimes, moins… sérieuses.

Et au fond, ce mot ne parle pas seulement des sciences.
Il parle aussi de genre.


La dureté comme vertu… masculine ?

Historiquement, les sciences “dures” sont valorisées parce qu’elles s’appuient sur des démonstrations, des formules, des preuves. Elles ont été construites comme des bastions de rigueur, loin du subjectif.

Mais cette construction culturelle a aussi servi à exclure :
On a assimilé la “dureté” à une forme de neutralité masculine.
On a présenté la logique comme rationnelle — donc masculine.
Et les émotions comme irrationnelles — donc féminines.

Conséquence : les filles se sentent souvent illégitimes dans ces filières, pas parce qu’elles sont moins capables, mais parce qu’on les a persuadées que leur place était ailleurs.


Pour qui sont-elles vraiment dures ?

Les statistiques le montrent : en France, moins de 30 % des étudiant·es en informatique sont des femmes. En physique, à peine plus.
Et même quand elles sont là, les doutes persistent :

"Tu veux vraiment faire ça ?"
"Tu ne préférerais pas un métier plus humain ?"
"Tu ne fais pas ça pour suivre quelqu’un ?"

Alors, oui, ces sciences peuvent être dures.
Mais pas seulement dans leur contenu.
Elles le sont surtout dans la manière dont elles accueillent.


Et si on changeait de mot ?

Pourquoi ne pas parler de sciences fondamentales ?
De sciences exactesstructuréeslogiques ?
Pourquoi avoir choisi un mot qui évoque la violence, la rudesse, l’austérité ?

Les mots comptent. Ils façonnent les imaginaires, les vocations, les peurs.

Changer de mot, ce n’est pas faire du marketing.
C’est ouvrir l’espace mental de la possibilité.


Conclusion personnelle

J’étudie l’informatique. On m’a dit que c’était “dur”. Et c’est vrai : il faut de la rigueur, de la patience, du courage.
Mais ce n’est pas plus dur que de tenir sa place dans un milieu qui doute encore de vous.
Pas plus dur que de lever la main quand on vous a appris à rester discrète.
Pas plus dur que de se dire, chaque matin : j’ai ma place ici.

Alors appelons-les comme on veut, ces sciences.

Mais rappelons-nous que les mots peuvent exclure autant que les murs.

Sources et références

  • Gianella, Camille. “Sciences dures, sciences molles : un langage genré ?” In: Regards croisés sur l'économie, 2017/1 (n° 20), pages 134 à 141. DOI: 10.3917/rce.020.0134

  • INSEE. “Les femmes dans les filières scientifiques et techniques”, 2023.    https://www.insee.fr/fr/statistiques/6433640    

  • Observatoire de l’Égalité – Ministère de l’Enseignement Supérieur. “Les femmes dans l'enseignement supérieur et la recherche : édition 2024”.                 https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-chiffres-cles-de-l-egalite-70854  

  • Delphy, Christine. “Le patriarcat, le féminisme et leurs mots”éditions Syllepse, 2015.                → Réflexion sur le langage, le pouvoir et l’invisibilisation des femmes dans les savoirs.

  • Harcourt, Wendy. “Bodies in resistance: gender and science”Zed Books, 2009.                      → Réflexions critiques sur les normes de genre dans les sciences.

  • Saini, Angela. Inferior: How Science Got Women Wrong — and the New Research That’s Rewriting the Story2017.                                                                                                                → Analyse des biais sexistes dans l’histoire des sciences.

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